Après le récit de la création de l’Albatros, la seconde partie de cet entretien se concentre autour de l’édition de la Ryder Cup 2018 et des modifications possibles du parcours. Nous poursuivons notre interview avec Hubert Chesneau, architecte de golf et du Golf National entre autres.
La France remporte l’organisation de la Ryder Cup 2018
Comment analyses-tu l’obtention de la Ryder Cup 2018 ?
Sincèrement, outre le travail de la Fédération, l’aide des clubs et des licenciés je pense que si la Ryder Cup 2018 nous a été attribuée, c’est un peu aussi grâce aux représentants des joueurs. Pour la 1ère fois, ils faisaient partie du comité de sélection et d’attribution de la compétition. Colin Montgomerie était un fervent défenseur de l’Albatros : il disait à qui voulait l’entendre que pour nous joueurs, la Ryder Cup 2018 doit se jouer au Golf National. Cela faisait 10 ans qu’il jouait le parcours et ce dernier plaisait à la plupart des participants de l’Open de France qui l’ont joué depuis 1991.
Parmi les autres candidats, on trouvait l’Espagne, le Portugal ou encore l’Allemagne…
Je craignais un peu l’Espagne comme l’Allemagne car ces 2 nations avaient prévu dans leur dossier de candidature de proposer un terrain et de laisser European Tour Design créer le parcours ad hoc. Mais les joueurs ont été fermes et influents. Jusqu’à présent, il ne faut pas se leurrer, la plupart du temps, les terrains de la Ryder Cup, ont été choisis pour quelques « gros sous » (Belfry, Club, Celtic Manor ou même Gleneagles par exemple).
Les joueurs ne trouvaient pas le Belfry fantastique, mais il y avait l’argent, un peu comme à Gleneagles plus tard. Et pourtant l’Ecosse compte de nombreux et magnifiques parcours, des purs links très sélectifs et spectaculaires… Et surprise, le parcours de Gleneagles est l’oeuvre de Nicklaus pour recevoir ses compatriotes !!! 😉
Pour cette raison, lorsque j’entends les joueurs dire qu’ils seront heureux de jouer la Ryder Cup 2018 sur l’Albatros, ça me met du baume au cœur.
Les aménagements de l’Albatros
Entre 2015 et 2016, il y a eu de profondes modifications sur le parcours de l’Albatros. C’est une loi ou une habitude que de consulter l’architecte ? Et qui souhaitait initier ces changements ?
Il y avait bien entendu quelques aménagements à apporter en vue de cette Ryder Cup. L’European Tour avait même esquissé de nombreux changements sur le parcours mais ne serait-ce que pour la déontologie en la matière, il était naturel de consulter l’architecte s’il est toujours vivant! 🙂 Nous avons réfléchi et collaboré sur les rares modifications du parcours en lui-même, en dehors de l’arrosage déjà vieux de 30 ans. D’ailleurs les quelques joueurs que j’avais interrogés après le choix de l’Albatros m’avaient presque tous dit qu’il ne fallait rien changer…
Comment cela s’est passé avec l’European Tour ?
Il était bien naturel que tout soit fait en collaboration étroite avec eux car ils gèrent la Ryder Cup avec nous comme locataire du terrain. Les relations peuvent être parfois compliquées : ils ont créé le Tour, l’ont développé et participent donc énormément au développement du golf mais ils ont parfois tendance à croire qu’ils sont tous seuls. Cette attitude a fortement évolué dans le bon sens grâce aux joueurs en particulier mais, par moment, il faut leur rappeler que l’on a aussi des idées et des contraintes à gérer…
Pour les travaux que comptais-tu faire ?
Le parcours est déjà très bon. On a donc légèrement amélioré en ajoutant du drainage un peu partout et modifiant les greens du 1 et du 16 afin de les aplanir un peu. Sur le trou 11, on est revenu au plan d’origine (avec de l’eau tout le temps et beaucoup plus dans la ligne -ndlr). Et entre les trous 4 et 5, comme on allait remuer de la terre, on en a profité pour faire la butte qui était prévue sur mes premiers plans.
[NDLR : Christophe MUNIESA passe à ce moment-là et vient lui parler. Une petite discussion s’engage entre les 2 hommes sur les demandes d’aménagement du terrain pour la Ryder. Je continue sur le sujet…]Tu parlais avec Christophe Muniesa des modifications qui pourraient être faites pour la Ryder Cup 2018. Tu peux nous en dire plus ?
L’année dernière, à Hazeltine, les US avaient un terrain qui favorisait leurs joueurs. Des grands boulevards larges, où l’on peut taper comme un sourd sans trop de rough. Les européens ont traditionnellement des joueurs qui placent les drives. Quand ils jouent The Open ou le Golf National, il faut parfois savoir choisir un autre club que le driver. Donc, la gestion des fairways, de la tonte des roughs, ou encore la modification des angles de jeu peuvent être un challenge intéressant pour les joueurs américains.
C’est-à-dire ?
Lors de l’Open de France, fin juin, le terrain a tendance à être sec surtout qu’on limitait l’arrosage des fairways. Les joueurs drivaient donc à droite, et les buttes ramenaient les balles quasi plein fairway. Il y a 10 ans, parce que je voulais obliger les joueurs à viser le milieu du fairway, j’ai donc créé des “pots bunker” à droite dans lesquels on n’est pas bien pour atteindre le green. L’ennui c’est que, depuis, les clubs et les balles étant plus efficaces, les joueurs vont plus loin. Les 3 bunkers n’étant plus autant en jeu, il est probable qu’on installera un nouveau pot bunker, un peu plus loin.
Dans les autres modifications possibles, il y aurait peut-être un nouveau départ au 3. Je l’avais dessiné avec un départ décalé plus bas à droite afin d’avoir une plus grosse butte naturelle pour accueillir les spectateurs et forcer les joueurs aussi à choisir un meilleur angle (Dans ce cas, le fairway aurait été latéral entouré d’un gros rough et d’un obstacle d’eau sur la droite – ndlr). Si l’ET est d’accord avec cette approche, on aura peut-être ce nouveau départ pour la Ryder Cup 2018…
Lors d’une précédente interview, tu disais que le spectateur n’était pas un “dahu”. Le chemin qui longe le trou 4 est encore très acrobatique. Des changements sont prévus ? Et à plus long terme (avec les JO 2024 en particulier), d’autres modifications de prévues (terrain, spectateur ou autres) ?
Avec la butte créée entre le 4 et le 5, la majorité des spectateurs y seront. Donc seuls les plus “fous” feront le tour par le chemin extérieur, on ne changera rien sur ce plan. Par contre, on envisage une autre modification à plus long terme, mais je ne peux pas t’en dire plus encore. Pour le reste, non. Le terrain tourne et malgré l’évolution du jeu, le parcours se défend toujours. Je rigole toujours quant au 1er tour, quelqu’un sort un -7. J’ai des amis qui prédisent alors un vainqueur à -20. Le record du parcours sur 4 tours doit être -14 (en fait -17 en 1997 par Retief Goosen – ndlr). Donc malgré l’évolution des joueurs, des clubs et des balles, le parcours résiste plutôt très bien.
Concernant le fameux “Tribunal” (du 15 au 18), es-tu déçu qu’il n’y ait pas eu de modifications du parcours pour qu’il puisse être joué par toutes les parties ?
On en parlait avec David Garland et John Parramore tout à l’heure (il sort son téléphone pour vérifier les statistiques qu’il a fait sur toutes les Ryder Cup pour voir le nombre de parties atteignant le 18). Effectivement, en général la moitié des parties n’irait pas jusqu’au 18 mais toutes atteindront le 15 ou le 16. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de meilleurs “finishing holes” que le Tribunal et qu’il fallait le garder ainsi, même si tous les matches n’iront pas jusqu’au dernier trou. J’ai tout de même essayé de changer la configuration du parcours pour mettre ces trous au milieu, mais sans succès. L’Albatros se prête peut-être un peu moins au Match Play. On en saura plus fin septembre 2018 🙂