Précédemment nous avons analysé l’engagement des golfeurs anglo saxons durant la Première Guerre mondiale, nous allons voir que leurs collègues de corporation tricolores ne sont pas restés en retrait durant ce conflit.
Tout d’abord, les sources sont minces et résident principalement dans les registres matricules, ces registres tenus par l’armée dans lequel toute la carrière militaire du conscrit était inscrite. Ils sont relativement fiables si l’on occulte quelques carences. Ainsi Arnaud Massy toise à 1m71 sur son registre de soldats alors qu’il s’annonce, dans un entretien donné au Miroir des sports, en 1925, à 1m76.
Le champion français aurait-il poussé de cinq centimètres à l’âge de 48 ans ? Bien sûr que non, la taille était mesurée lors du conseil de révision par les gendarmes accompagnés d’un sous-officier. Malgré des recommandations de base comme « placer le conscrit contre un mur », « pied nu » il arrivait parfois des erreurs de mesure mais surtout de transcription dues au rythme effréné d’afflux de conscrits en une matinée.
Hormis ces petites failles, les registres sont d’une grande utilité pour comprendre la place du jeu de Golf, en France, au début du XXe siècle. Alors qu’à cette époque le sport est une affaire d’amateurs, la petite balle blanche est cajolée par de professionnels ainsi Arnaud Massy, Jean Gassiat, les frères Gustave et René Golias et Raymond Gommier sont référencés en tant que professeurs de golf dans leur dossier militaire.
Les vedettes Arnaud Massy et Jean Gassiat
Le plus illustres d’entre eux, Arnaud Massy, le vainqueur de The Open, en 1907 et unique vainqueur français d’un Majeur (Allez Victor !) fut tout d’abord réformé !
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Issu de la classe 1897, il est incorporé en juillet, en tant matelot à Rochefort (il fut dans sa jeunesse mousse sur un sardinier). Trois semaines plus tard, la Commission des Affaires maritimes le renvoie dans ses foyers pour « infirmités contractées antérieurement ».
Rien d’étonnant, beaucoup de sportifs furent réformés ou ajournés. En effet, les potentielles recrues sont soumises à un examen médical, le résultat détermine leur classement dans le service armé, dans le service auxiliaire, leur ajournement ou leur exemption. Cet examen repose sur l’Indice Pignet qui vise, avant tout, à évaluer la robustesse. On ne peut pas dire que ce soit la qualité première d’un golfeur du début du XXe siècle, l’ère Bryson DeChambeau n’avait pas encore sonné.
Plus surprenant pour un golfeur, Jean Gassiat, fut d’abord ajourné, en 1904, puis réformé lui aussi pour « astigmatisme myopie aux deux yeux », ce qui ne l’avait pourtant pas empêché de remporter en 1912, le Championnat National et le Grand Omnium de France.
Devant les besoins de la Guerre la Commission de réforme se montra moins pointilleuse et Massy fut incorporé au 123e Régiment d’Infanterie de La Rochelle tandis que Gassiat intégra le Service auxiliaire, au 144e Régiment d’Infanterie de Bordeaux, bien moins exposé que le service actif.
Cette différence de traitement aura de grandes conséquences. Arnaud Massy fut en première ligne subissant plusieurs blessures, notamment une sérieuse, le 23 août 1916, dans le secteur du bois de Vaux-Chapitre, face au fort de Douaumont durant la Bataille de Verdun. La jambe droite et les lombaires lacérées par des éclats d’obus l’envoyèrent en convalescence.
A l’opposé, Jean Gassiat occupa la fonction de moniteur de sport. Ce fut le cas de beaucoup de vedettes du sport. Echaudé par la mort au front du champion des champions Jean Bouin, en septembre 1914, l’Etat-Major, sans exonérer les grands sportifs de leur participation à l’effort de guerre, les réserva à la préparation physique des soldats à l’instar aussi du champion de boxe Georges Carpentier. Le champion biarrot passa l’essentiel de sa guerre à entrainer les troupes avant leur épreuve du feu et … à jouer au golf au Golf bordelais. Il partagea une partie notamment avec Moulay Abdelaziz, le sultan du Maroc.
Des bunkers aux tranchées, des situations bien diverses
Baptiste Bomboudiac, le golfeur de Vichy, mobilisé en août 1914 dans l’Artillerie, est réformé un mois plus tard pour « varices et troubles trophiques » sans avoir été reversé dans les services auxiliaires.
Gustave Golias eut des états de service dignes de plus grands films de guerre. Mobilisé dès le déclenchement de la guerre en août 1914, il est nommé Caporal à son arrivée puis fait prisonnier en Moselle avant de retrouver la liberté et le 37e Régiment d’Infanterie. Il combattit à Verdun où ses prouesses lui valurent une prestigieuse citation à l’ordre du régiment. Il intégra ensuite l’aviation comme de nombreux sportsmen.
Une escadrille des sportifs fut même créée sous le commandement du Capitaine De L’Hermite dans laquelle on retrouva des rugbymen comme Maurice Boyau, Henri Fellonneau, Francis Mouronval ou le nageur Henri Decoin. Brevet de pilote en poche, Gustave Golias combat sur le Front d’Orient au sein de l’escadrille 557 et termina la guerre décoré de la Croix de Guerre avec étoile de bronze pour sa conduite exceptionnelle.
Son frère René subit également l’épreuve du feu dès septembre 1914 au sein du 13e Régiment d’Infanterie de Nevers. Le vainqueur de l’Open d’Italie fit montre d’une grande témérité, ce qui lui a valu une citation à l’ordre de la Brigade pour « ce brave soldat qui s’est montré courageux sur les lignes ennemies ». Il obtient lui aussi la Croix de Guerre avec étoile de bronze.
Gustave Golias ne fut pas le seul à connaitre la captivité, Raymond Gommier neutralisé le 22 décembre 1914 à Bischoote, en Belgique fut transféré en Allemagne au Camp de Zerbst. Il retrouva la liberté le 21 novembre 1918.
Les Jeux interalliés, la sortie de guerre à travers le sport
Rendu à la vie civile, les « golfeurs soldats » tricolores réalisèrent un dernier coup d’éclat “militaire” avec la victoire lors des Jeux interalliés. Il s’agit de « Jeux Olympiques » ouverts exclusivement aux nations victorieuses de la Grande Guerre et à leurs athlètes issus du personnel militaire qui servait actuellement ou avait déjà servi dans les forces armées pendant la guerre.
Ils se déroulèrent du 22 juin au 6 juillet 1919 au stade Pershing du Bois de Vincennes. Construit pour l’occasion par l’Armée américaine – d’où le nom du célèbre Général américain – aidée du YMCA (pas la chanson des Village People mais l’Organisation de la Jeunesse). Les épreuves de golf s’ouvrirent par une compétition par équipe (four-ball), seule trois nations participèrent, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis.
A la suite d’une victoire sur la Grande Bretagne emmenée par Albert Tingey (un des initiateurs de la Brigade Niblick), les Américains furent opposés à la France. Les tricolores l’emportèrent sur le score de 8 à 4. L’équipe de France se composait de Baptiste Bomboudiac, Marius Cavallo, Maurice Daugé, Jean Gassiat , René Golias , Raymond Gommier , Eugène Lafitte et Arnaud Massy.
Arnaud Massy renouvela l’exploit en individuel en battant Maurice Daugé.
Pour beaucoup de golfeurs français, l’épreuve du feu fut une parenthèse qui ne les empêcha pas de retourner sur les greens, même pour ceux qui connurent les combats les plus violents. Arnaud Massy par exemple ira monnayer ses talents en Amérique battant même Bobby Jones, lors d’une exhibition mais ça c’est une autre histoire…
Terret Thierry. Les quatre enjeux des Jeux interalliés de 1919. In: Les Cahiers de l’INSEP, hors-série, 2003. L’Empreinte de Joinville, 150 ans de sport. pp. 121-137.
www.persee.fr/doc/insep_1241-0691_2003_hos_1_1_1722
Callewaert Pierre, « Les Jeux interalliés 1919, le cadeau de nos amis américains », L’Equipe Magazine, 26 décembre 2019
https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Article/Les-jeux-interallies-1919-le-cadeau-de-nos-amis-americains/1093330