En 1927, le physicien allemand Werner Heisenberg présentait grâce à ses travaux le principe selon lequel “il existe une limite fondamentale à la précision avec laquelle il est possible de connaître simultanément deux propriétés physiques d’une même particule“. Connu sous le nom de principe d’incertitude, ou d’indétermination pour les plus tatillons, et puisque de toute manière nulle personne normalement constituée ne peut raisonnablement piper un broc de ces considérations physiques, nous nous arrêterons à son nom.
Et, dans le monde de la petite balle blanche, les principes d’incertitude sont légion. Le kick d’un fer 7 de 140m, le contact d’une balle pluggée dans un bunker, avoir rangé son putter dans son sac après la cinquième Leffe Ruby sirotée au club house…
Pour autant, en admettant que les joueurs professionnels s’affranchissent de ces égards, il en est un qui demeure : le playoff. Venant retarder, pour nous européens, l’heure de notre coucher le dimanche soir (et celle de notre sieste pour ceux de l’ET et du LET), le playoff vient départager deux, ou plusieurs, potentiels lauréats d’un tournoi pour lequel 72 trous n’auront pas été suffisants, et puis quoi, encore.
Playoff et Histoire
Au fil de l’histoire, la monstruosité de la recherche d’un vainqueur (et, par là, d’un perdant) a pris des formes très diverses. Evènements réguliers du PGA Tour et de l’European Tour, utilisent un système de mort subite sur un trou, à l’exception du Players, qui aime bien faire l’intéressant et ressembler aux Majeurs.
Pour ces derniers, on se demande s’il ne vaudrait pas mieux revenir à un papier sur la maîtrise de la relation onde-corpuscules tant ils ont cherché à cultiver la différence, le “moi-je”, pour posséder la formule miracle qui rendra leur produit meilleur (allusion exagérée à un autre “Heisenberg”, cuisinier et narcotrafiquant).
Historiquement, les quatre majeurs utilisaient un stroke play sur 18 trous, qui pour des raisons évidentes a été amené à évoluer. “Television rules the Nation” chantait Daft Punk… Le Masters, en 1976, et le PGA Championship un an plus tard ont opté pour le format “Sudden Death” mais c’est l’Open britannique qui aura été le premier à adopter le playoff en stroke raccourci (en l’occurence sur quatre trous) en 1985, avant d’être imité en 2000 par le PGA (sur trois) et en 2018 par l’US Open (sur deux).
Chez les dames, l’US Open a ratissé large en usant successivement de tout ce qui pouvait constituer une manière de régler une égalité, arrêtant sa quête sur un format mort subite, à l’instar de tous les autres majeurs féminins. On notera malgré tout la petite excentricité de l’Open britannique qui, en 1977, a couronné Vivien Saunders aux dépens de Mary Everhard, la première ayant signé une dernière ronde meilleure que celle de sa concurrente, empochant le chèque de £.210 pour l’occasion. Cheers.
Playoff et Mathématiques
On pense souvent aux playoffs notables dans l’histoire moderne (Adam Scott en 2013 à Augusta, le putt de Rahm il y a quelques mois face à Dustin en playoff de FedEx Cup, Rocco V. Tiger en 2008 à Torrey Pines) ou à ceux ayant un peu plus vieilli (Hogan à l’US 1955, Mize – Norman – Seve au Masters 1987…). Mais sait-on vraiment dans quelle mesure le couperet du playoff façonne-t-il les palmarès du golf. Sur les trois dernières saisons étudiées (PGA, LPGA & European Tour), soit un panel de 335 tournois, 65 ont rendu leur décision après un playoff, soit un tournoi sur 5 environ. Etonnant, non?
Le constat en majeur est un vulgaire copier-coller puisque sur les 79 tournois disputés depuis 2001, 16 ont offert un final sous forme de playoff, soit un pourcentage de 20,3%. Encore plus étonnant, non?
Quid du momentum à présent. On cherche ici à vérifier, ou à battre en brèche, le poncif éculé qui vient faire du joueur ayant arraché le playoff à son adversaire le favori naturel du playoff, celui étant dans une dynamique supposée positive. Bien que la méthode puisse contenir des biais, celle-ci ne prenant en compte qu’une quarantaine de tournois récents tous circuits confondus*, il apparaît que le joueur ayant été “poussé” en playoff l’emporte à 60%. Ces recherches, longues et éprouvantes, ne viennent donc rien démontrer de saillant. Super.
Quoiqu’elles permettent, peut-être, d’effectivement écarter l’idée du joueur le vent en poupe venant rafler la mise.
Du point de vue de la couleur des polos non plus, aucune conclusion ne paraît jaillir de récentes observations. Les joueurs ornés de hauts rayés ne s’en sortent pas mieux que les joueurs habillés de couleurs froides… CQFD.
Playoff et Philosophie
Des statistiques précitées apparaissent donc qu’un tournoi sur cinq environ voit son destin lié à “la glorieuse incertitude du sport” entre les meilleurs joueurs de la semaine. Pour peu que le golf ait un jour été empreint de justice, ce système vient-il couronner, de manière intègre et appropriée “LE” meilleur joueur du tournoi ?
Pour Kenny Perry elle l’est. Pour moi aussi, mais vous vous en foutez sûrement. Tiger Woods, lui, déclare: “En tant que joueur qui se sent bien, vous voulez jouer plus de trous. Le meilleur l’emporte plus souvent lorsque la partie s’allonge. Si je joue bien, je veux jouer plusieurs trous, pas seulement un, ou même trois”.
Trois choses frappent l’esprit malade de l’auteur de ces lignes (les miennes, pas celle du Tigre). Une, Woods veut laisser moins de chances au supposé moins bon joueur, ce qui vient donc sanctionner non pas une performance sur quatre rondes mais bien un a priori sur le temps long. Deux, ça l’arrange bien. Trois, il serait peut-être utile de lui reposer la question en 2020, avec ses problèmes de dos et sa santé chancelante. “Et toc, remballe ton slibard, Lothar“.
On le perçoit, nulle solution ne paraît universellement satisfaisante.
Alors, comment régler le problème d’une égalité entre plusieurs joueurs au terme du dernier trou du tournoi. Quelques pistes restent cependant à étudier :
Numéro un. La solution The Open 1876. Joué à St. Andrews, le tournoi voit messieurs Bob Martin et Davie Strath se partager la tête à l’issue du 36e et dernier trou. Le second ayant probablement oublié d’éteindre la lampe à pétrole de sa table de chevet, il choisit de rester chez lui, ne jouant pas le playoff et laissant à Martin le gain de l’Open britannique. Strath ne gagnera jamais le tournoi, terminant à 3 reprises sur le podium.
Numéro deux. La solution Motor City Open 1949. Joué sur le Meadowbrook CC (MI), ce tournoi du PGA Tour voit Carey Middlecoff et Lloyd Mangrum (deux futurs Hall of Famer) ex aequos non seulement à la fin du tournoi, mais aussi après 11 trous de playoff. Excédés, menacés par la nuit et la vieillesse, les directeurs de l’épreuve déclarent les deux joueurs co-vainqueurs. Un qui prend la coupe, l’autre les bouteilles de Bordeaux, tout le monde est content.
Numéro trois. Pierre – Feuille – Ciseaux, qui reste une des méthodes les plus fiables pour résoudre un conflit.
Les playoffs offrent un dénouement toujours singulier à un tournoi, quelle qu’en soit la forme. Cela laisse malgré tout deux questions en suspens : doit-on écrire playoff ou playoffs et pourquoi Kevin Kisner les perd-il tous ?
*Les sites spécialisés de statistiques étant payants, et ayant récemment subi des déboires mécaniques sur mon auto, je n’ai pu être en mesure de remonter aussi loin que je l’aurais voulu. J’en appelle donc à la solidarité de chacun, afin que je puisse : soit payer un abonnement à un site dédié, soit m’offrir les services d’un spécialiste de la géométrie sur une 207.