Le second majeur de l’année 2018 restera certainement dans les annales des tournois du Grand Chelem… Ou pas ! Pour la première fois depuis Curtis Strange (1988-1989), le champion de la précédente édition a conservé son titre au terme d’une journée qui a vu l’un des rares 63 à l’US Open. Et pourtant ces beaux moments de golf se sont déroulés moins de 24 heures après l’une des journées les moins golfiques de l’histoire dont Phil Mickelson fut le point d’orgue. Alors, avons-nous assisté à un superbe ou un catastrophique US Open ?
Jusqu’ici tout va bien…
Le plus ancien des Majeurs sur le sol américain revenait à Shinnecock Hills pour la 5e fois de son histoire à l’occasion de cette 118e édition et on vous avait prévenu : cela n’allait pas être une partie de plaisirs ! Après les premiers 18 trous, le score moyen du Top10 mondial était 5,2 au-dessus du Par et seul DJ avait rendu une carte sous les 70 (69). Brooks Koepka a débuté son US Open avec un birdie, ce fut le seul au cours de sa première journée avec une carte finale de 75. Shinnecock Hills venait de frapper.
Le parcours construit en 1891 et remanié au début des années 30 est considéré comme le meilleur de la rotation des parcours de l’US Open. Aucun des 18 trous n’est très difficile mais il n’y a aucun trou facile non plus. Pas de moment de répit donc pour les joueurs qui doivent composer avec le vent quasi systématique du bord de mer. Un vent surtout déroutant puisque, hormis l’enchaînement des 9 et 10, chaque trou se joue dans une direction différente de celle du trou précédent.
Re-belote le vendredi, Dustin rendait une nouvelle carte sous le Par (67) et restait leader avec 4 coups sur ses premiers poursuivants. Une avance (minimum) après 36 trous que 4 joueurs avant lui ont eu au cours des 100 dernières années. Tous ont soulevé le trophée le dimanche.
En ce jour de cut, alors que Tommy Fleetwood et Brooks Koepka signaient les meilleures cartes (66) de la journée, la limite pour jouer le week-end fixée à +8 laissait sur le carreau cinq des vainqueurs récents de l’US Open : Spieth, Kaymer, McIlroy, McDowell et Woods. Mais la liste comprenait également Bubba Watson, Sergio Garcia, Jon Rahm ou encore Jason Day, ainsi que le tricolore Alexander Levy. L’autre français en lice, Matthieu Pavon a bluffé son monde au cours de ses 2 premières journées. Grâce à une place obtenue brillamment via l’un des sites de qualification, Matthieu a ensuite joué crânement sa chance et solidement son golf. Après un superbe 71 la veille qui le plaçait dans le Top10, il bataillait fort le vendredi pour un 77, synonyme d’une place parmi les 60 premiers qualifiés. Classe !
Faites vos jeux, rien ne va plus !
Dans la nuit de vendredi à samedi, on ne sait si Mike Davis, le patron de l’USGA, a dormi sur ses deux oreilles mais la nuit lui a certainement porté conseil. Toutefois il n’est pas réellement précisé dans ce proverbe si le conseil est bon ou mauvais au final. Les machines des jardiniers sont alors passées sur les greens et les officiels ont trouvé des positions de drapeaux que seul un trou placé directement dans un bunker aurait pu concurrencer par moment. Enfin, le vent s’est invité à la fête – à la plus grande surprise de l’USGA (“Really?!”), changeant drastiquement le parcours au cours de la journée.
Les premières parties du matin se voyaient toutefois offrir des belles opportunités de birdies que Tony Finau et Daniel Berger ont su saisir (66) mais les hommes du haut du classement qui partaient plus tard étaient bien les perdants du jour. Les 5 dernières parties cumulaient un +67 total (!!) avec la meilleure carte pour Koepka (72). Ces 10 joueurs réalisant autant de birdies (12) à eux tous que les deux premiers cités ! Après Shinnecock Hills, l’USGA venait de frapper, elle aussi.
Les uns clamaient que c’était un US Open et que c’était le test ultime, les autres que c’était du grand n’importe quoi. D’un point de vue de spectateur, il n’y avait rien de plaisant à voir les joueurs faire l’essuie-glace sur les greens, où le putt de retour était 2 fois sur 3 plus long que le putt initial… À moins de faire comme Mickelson en re-tapant sa balle avant qu’elle n’aille trop loin !
I don’t know what everyone is losing their shit over Phil’s incident yesterdys. It’s in the rules. All credit to Phil. #USOpenpic.twitter.com/nj1eG1Yotx
— Darth Monty (@Darth_Monty) 17 juin 2018
Ce geste qui traduisait dans un premier temps l’agacement de Mickelson, certainement partagé en grande majorité par ses compères. Savoir si cela aurait dû entrainer la disqualification du joueur restera un débat sans fin, et chacun de en fait son interprétation. L’USGA a décidé, elle, que non. Mais comme me le faisait remarquer judicieusement Gurvann, c’est une décision de “connivence”. En excluant Lefty du tournoi (selon la règle 1-2), l’USGA se serait encore plus largement exposée à une tempête de tous les acteurs de la planète golf. Oui, le classement de Mickelson à ce moment du tournoi était sans incidence pour la suite. Non, un geste anti-sportif ne peut être un signe de protestation. Reste surtout que ce comportement anti-étiquette crée effectivement un précédent comme le soulignait Guillaume dans son billet d’humeur.
Shame on you USGA ! 😉
La United States Golf Association est l’autorité dirigeante du golf pour les USA et le Mexique. Elle établit et interprète notamment les règles de golf. Oui, interpréter ! Une règle devrait pouvoir être seulement respectée, ou transgressée, en particulier dans le sport. Un en-avant au rugby, une main dans la surface de réparation au football, un handballeur défendant dans sa zone. Autant de situations qui ne laissent pas de place à l’interprétation quant à la pénalité associée.
Le tort du golf a sans doute été de vouloir répondre avec le temps à chaque situation possible de jeu mais on peut compter sur les joueurs et les caprices d’une petite balle blanche pour en créer régulièrement de nouvelles, rendant les décisions parfois trop complexes.
De plus, dans l’histoire qui nous concerne ici, l’USGA est à la fois juge et partie. Elle organise des tournois tout en les arbitrant, devant ainsi peser le pour et le contre de chacune de ses actions et décisions pour assurer le respect des règles mais aussi le bon déroulement de l’évènement. Un vrai casse-tête qu’elle n’arrive pas à résoudre.
Mais, à mon sens, là où l’USGA a failli à sa tâche, c’est dans son rôle de préparation des parcours. Car, en plus d’être juge et partie prenante, elle veut être aussi le bourreau qui coupe la tête de tous ceux qui osent flirter avec son sacro-saint Par. Stupidité !
Le golf est touché de plein fouet par l’innovation technologique qui permet d’aller plus loin, plus vite, plus fort. Mais après tout, rien de nouveau au rayon de l’évolution du sport de ces dernières décennies. Un article du National Geographic expliquait l’impact de l’innovation sur les performances en comparant notamment Jesse Owens (Médaille d’or du 100m aux Jeux Olympiques de 1936) et Usain Bolt (Vainqueur de la discipline JO 2008, 2012 et 2016). Le meilleur chrono d’Owens est de 10.2 contre 9.58 pour le jamaïcain, une différence qui s’explique majoritairement par l’évolution des starting-blocks, des chaussures, du revêtement de la piste et de mesure du temps. Mais il ne viendrait à personne l’idée de rajouter des pièges sur la piste pour en revenir à des temps au-dessus de 10 secondes.
C’est comme si tu mettais des billes dans les couloirs d’un 100m sous prétexte que les mecs courent de plus en plus vite ?
— Lionel LPBB (@lionel_pbb) 17 juin 2018
Que l’US Open se joue sur des parcours plus difficiles de ceux du reste de l’année, que les fairways soient moins larges, le rough plus haut, les greens plus rapides, les bunkers plus gourmands. Oui, cent fois oui ! Mais en respectant l’esprit du golf où un bon coup allié à une bonne stratégie doivent être récompensés sur la carte de score et non pénalisés injustement par des artifices. Et si le score final du vainqueur est de +5, Even ou – 5, qu’il en soit ainsi.
Un parcours a souvent été créé par des artistes qui ont tenté de lui donner les armes pour se défendre. Certes l’échelle a changé au fil des années et le Par n’est sans doute plus la référence absolue. Mais demandez à Tommy Fleetwood qui réalise une des 6 meilleures cartes de l’histoire si le parcours ne lui a finalement pas résisté alors que l’anglais espérait tant être le premier à signer 62 dans un US Open. Bien sûr, libre à vous, de préférer vous enthousiasmer avec le 84 de Rickie Fowler, sous prétexte que cela vous rappelle votre dernière partie. 😉
Au final, on pourra toujours arguer que la préparation désastreuse du parcours pour le Moving Day a piégé injustement DJ qui semblait s’envoler vers son second titre du Grand Chelem. Mais, cette semaine dans la région prisée des Hamptons, le vainqueur de l’US Open 2017 a vaincu celui de l’US Open 2016, à la régulière sur ce dernier tour. Même partie, mêmes conditions de jeu. Et c’est bien là l’essentiel !
Photo à la une : crédit Cyril Bougaux