Grégory Bourdy est le Français le plus titré de ces 20 dernières années après Thomas Levet. Passé professionnel en 2003, à 21 ans, il totalise 8 victoires dont 4 sur le Tour Européen. Après une très belle saison 2016, les résultats sont de moins en moins au rendez-vous jusqu’à la perte de sa carte l’an dernier après 15 saisons parmi l’élite européenne. Un coup dur auquel il n’était pas préparé, comme il nous le raconte dans cette interview. Mais Greg fait tout pour revenir, encore plus fort !
Après cette perte de la carte sur l’European Tour, comment est la motivation ?
La motivation est intacte mais il est vrai que c’était un épisode auquel je n’étais pas préparé. Étant installé sur le Tour depuis 15 ans, je nourrissais de belles ambitions. J’étais sur une bonne dynamique depuis 2015/2016 en réalisant presque ma meilleure saison en 2016 avec deux top20 sur les 2 majeurs américains (T18 US Open et USPGA – ndlr). J’ai même été en tête de l’US Open (lors du 2e tour – ndlr) puis il y a eu cette participation magique aux JO. J’ai aussi brillé sur 2 ou 3 tournois avec des Top10/15 pour, au final, terminer la saison autour de la 30e place européenne (35e de la R2D – ndlr) !
Justement, après cette belle saison 2016, dans quel esprit abordes-tu la suivante ?
J’avais à cœur de faire encore plus, avec des objectifs élevés. Mais cela a été un petit peu plus compliqué car j’ai tenté de mettre en place des nouvelles choses pour franchir un palier. Dans mon jeu comme au driving, j’essayais d’être un peu plus puissant, plus quelques modifications au putting. Donc oui, au final, cette saison 2017 n’a pas été aussi bonne que les précédentes et je termine à la 66e place de la Race to Dubaï. Ça a été bien évidemment un peu décevant.
Et cela s’est compliqué encore plus en 2018…
Je démarre très mal la saison et après s’enchaîne la course aux points. Un petit peu d’impatience sur l’ensemble du reste de la saison où, avec le recul je pense que j’ai trop joué. Fin 2017, nous avons eu un bébé et allier cette nouvelle vie de famille avec cette saison qui ne se passait pas très bien, je me suis un peu trop éparpillé voire époumoné.
Comment as-tu vécu ce moment ?
Ça a été un coup dur, un gros coup dur mais que j’ai maintenant digéré. Comme dans de nombreuses carrières de sportifs, il y a parfois des moments un peu plus compliqués et il faut savoir passer outre, se reconstruire. Il faut justement essayer de se servir de ces moments là pour peut-être revenir plus fort. C’est en tous cas ce que j’essaye de mettre en place pour récupérer ma place au sein de l’élite européenne.
Quels sont tes objectifs en 2019 ?
Le but est bien évidemment de récupérer mon droit de jeu sur le Tour européen, soit par le biais du Challenge Tour car, pour l’instant, je ne bénéficie pas d’énormément d’invitations sur l’ET. Je vais jongler un peu entre les 2 circuits tout en espérant avoir un peu plus d’invitations sur la 2e partie de la saison. Si je peux performer avec quelques top10 pour grappiller des points, ce serait bien. Quand je ne pourrais pas jouer sur l’ET, je jouerais sur le Challenge Tour.
Ce qui fera pas mal de tournois à jouer…
Avec ces 2 options forcément mais je pense que je viens de vivre une grosse période sans tournois, où j’ai peu joué de compétitions. Je me suis bien préparé golfiquement, physiquement et mentalement pour pouvoir répondre présent sur les 2 circuits et enchaîner les tournois si besoin.
Revenons maintenant un peu sur ta carrière, quelle victoire à ce jour, reste pour toi la plus marquante ?
Elles sont toutes différentes et importantes, c’est difficile de n’en sortir qu’une… (il réfléchit). Je dirais ma victoire à HONG KONG car cela reste une référence en terme de niveau de jeu et de performance. J’ai mené pratiquement de bout en bout, j’ai vraiment joué un jeu solide sur les 4 tours. Il y avait également du beau monde, des joueurs sérieux derrière moi : McIlroy, Molinari ou encore Poulter. Donc garder la tête et gagner, cela reste un dimanche riche en émotions. Pour l’anecdote, cela tombait le jour de l’anniversaire de ma mère donc on ne pouvait faire mieux qu’une victoire comme cadeau d’anniversaire ! 🙂
Tu évoquais plus tôt ta participation aux JO, raconte-nous ?
Les JO, j’en avais fait mon objectif des 2 années précédant le rendez-vous de Rio. C’était même une priorité car je ne me voyais pas passer à côté. Je me suis qualifié et j’espérais bien évidemment tout faire pour y briller et remporter une médaille. J’avais bien démarré la compétition mais voilà j’ai malheureusement moins bien fini et pas de médaille au bout (il termine 21e ex-aequo – ndlr). Ceci dit, cela reste une expérience incroyable et inoubliable avec une cérémonie d’ouverture magique, le partage avec les autres athlètes et en plus avec le retour du golf aux JO après tant d’années d’absence. Cela reste un honneur et un beau souvenir.
Et ces 2 Majeurs de 2016 ?
J’ai fait 2 performances solides surtout à l’US Open où j’étais même en tête à mi-parcours avec 3 coups d’avance. J’avais vraiment démarré fort et je me sentais bien, en forme , à ma place mais bon, quelques petites erreurs, la semaine s’est terminée un petit peu moins bien, je fini 18e. Même place à l’USPGA où malheureusement je rate le Top15 pour être qualifié d’office pour l’édition 2017. Mais voilà cela confirmait mon niveau de jeu du moment et qui montait en puissance en régularité.
Avec ces performances, as-tu eu le sentiment de te rapprocher des meilleurs joueurs du monde ?
M’y rapprocher oui. C’est mon objectif depuis toujours, de faire partie de l’élite mondiale, donc après j’ai essayé de mettre en place une stratégie adaptée. J’étais en progression constante et je commençais à toucher l’excellence. Lorsque la même année, tu es proche des leaders mondiaux en confirmant sur 2 majeurs successifs avec un Top20, oui, on peut dire que je sentais avoir le jeu pour me confronter aux meilleurs plus régulièrement. J’avais de très bonnes sensations, mais malheureusement mon jeu s’est ensuite dégradé pour les raisons que je citais tout à l’heure.
Penses-tu à ce moment-là à la Ryder Cup en France qui était à venir 2 ans plus tard ?
Oui bien évidemment j’y pensais, et même plus tôt, dès l’attribution de la Ryder à la France, j’en avais fait avec les JO un de mes principaux objectifs. Je pensais avoir la maturité golfique pour être dans l’équipe européenne, j’avais remporté quelques tournois sur le Tour, j’avais brillé en Majeurs, je pensais sérieusement défendre mes chances… Je ne sais pas, toujours facile à dire après, mais j’en ai peut-être fait trop une obsession sur l’instant, je me suis mis peut-être un peu trop de pression.
C’est-à-dire ?
Sans doute que j’en ai oublié l’essentiel, à savoir de jouer d’abord les tournois les uns après les autres, et être dans le présent comme on le répète souvent. Jouer son jeu et faire les comptes à la fin. Je ne voulais pas rater cet événement unique à la maison, ça ne se présente qu’une seule fois dans une carrière. En 2018, j’ai essayé de réparer les pots cassés du début de saison, j’ai joué trop la course aux points en pensant à la Ryder Cup. Au final, j’ai connu mes 2 plus mauvaises saison sur le Tour et avec ce recul, si c’était à refaire, je ferais différemment, c’est sûr. 🙂
La page est tournée ?
Oui, on ne va pas revenir sur le passé, maintenant je mets tout en place pour franchir un nouveau cap et revenir au plus haut niveau. Ensuite, j’espère avoir d’autres opportunités de pouvoir participer à cette compétition, en Europe ou aux États-Unis, car je suis d’abord un joueur d’objectifs et de challenges.
Du coup, comment as-tu vécu cet événement ?
Déjà, je l’ai vécu sur place, parce que j’y suis allé, a défaut de ne pas jouer (rires) ! J’y allais pour mon sponsor Bouygues Construction, partenaire de la Ryder Cup, où j’ai rencontré leurs clients. Toute la semaine, j’étais aussi en compagnie de mon père et ma soeur.
Et ton ressenti ?
C’était un moment unique ! On savait que ça allait être incroyable, que ce parcours se prêtait complètement à une Ryder Cup. Quand on entend en plus les commentaires des joueurs, des spectateurs et de l’ensemble de l’organisation, on a vraiment eu la confirmation que ce grand parcours était fait pour le match play. On a vu de belles rencontres, un beau match avec une météo de dingue. Le rêve quoi ! 🙂 Durant l’Open de France, on a parfois pas mal de monde qui nous suivent, plus particulièrement si quelques uns d’entre nous (les Français – ndlr) jouent bien et c’est déjà fantastique de jouer dans ces conditions, mais là. C’était wooow !! La foule présente le dernier jour au départ du 1 avec cette tribune immense et tout au long du trou jusqu’au green du 2, on se serait cru dans un stadium. Les spectateurs du 1 qui répondaient à ceux du 2, c’était vraiment unique et incroyable !
Selon toi, peut-on réussir à se classer au plus haut niveau mondial en jouant uniquement sur l’ET ?
D’après les statistiques, et ce que j’ai remarqué et analysé depuis que je suis passé pro, 90% des joueurs non Américains qui sont dans l’élite mondiale depuis 20 ou 30 ans sont passés par le circuit européen. Je parle des Sud-Africains, Anglais, Espagnols, Italiens, Suédois, ou encore Allemands. Le Tour européen, et même le Challenge Tour, ont été régulièrement une passerelle vers le PGA Tour. Les joueurs évoluant sur l’ET ont petit à petit gagné des tournois, sont rentrés dans l’élite européenne, ont pour certains joué et gagné la Ryder. L’European Tour est un circuit qui permet de faire ses armes, il y a très peu (ou trop peu) de joueurs qui partent directement aux USA et qui arrivent à se qualifier directement pour la Ryder Cup, c’est évidemment possible mais cela reste une partie infime de joueurs. Donc je pense que l’étape de l’European Tour permet d’accumuler de la régularité dans les résultats pour passer un cap. Prenons l’exemple de Koepka passé par le Challenge Tour puis l’ET et qui, au final , excusez-moi du peu, a gagné 3 majeurs et est dans le Top3 mondial (interview réalisée quelques jours avant l’USPGA 2019 – ndlr), que dire de plus…
Envisages-tu de partir jouer aux Etats-Unis ?
Depuis quelques années, j’y pense et j’en ai envie. En 2016, justement après mes bonnes performances sur les 2 majeurs aux US, j’avais assez de points pour me qualifier et jouer les finales du WEB.COM afin d’intégrer le PGA Tour. J’ai raté le 1er tournoi car c’était la date de mon mariage, j’ai participé aux 2 suivants où je n’ai pas bien joué et le 4e a été annulé pour cause de tempête. Donc cette opportunité-là je n’ai pas pu réellement la saisir mais c’est encore dans un coin de ma tête. Jouer plus souvent là-bas, m’installer sur le PGA, parce que je pense qu’aujourd’hui quasi tous les meilleurs sont là-bas, même si ils reviennent sur quelques gros tournois en Europe. Ma vision est claire, si je n’arrive pas à percer sur l’ET, pourquoi ne pas tenter les cartes du WEB.COM pour intégrer le PGA TOUR ?
D’après les propos de Jeff LUCQUIN dans une de nos itws, il évoquait la difficulté culturelle à s’adapter au pays, qu’en penses-tu ?
J’ai eu la chance de participer à de très gros tournois comme les Majeursaux États-Unis et les championnats du monde mais je n’ai joué qu’un tournoi en dehors sur le PGA Tour. Je n’ai jamais fait une pleine saison sur le circuit américain mais de ce que j’entends, aussi bien chez les filles que chez les garçons, certaines personnes ont du mal, culturellement ou autre, à s’acclimater là-bas. Assurément quand on n’est pas assez armés, ou par manque d’expérience, c’est compliqué, très compliqué. Ce que je me suis toujours dit depuis le départ, c’est qu’il faut que je sois assez fort pour arriver là-bas, en pleine possession de mes moyens. Il y a vraiment beaucoup de belles choses à faire en Europe et après pourquoi ne pas tenter l’aventure américaine…
Ton sentiment sur la date de l’Open de France en octobre ?
Mon sentiment premier c’est de l’incompréhension, de l’étonnement, presque rageur quoi ! C’est à rien y comprendre…..
Mais en tant que joueur tu le prends comment ?
Je le prends mal, très mal. Comme je disais, c’est l’incompréhension totale, après tout ce que représente l’ODF, plus vieux tournoi du continent, et encore plus avec le fait d’y avoir vu la plus belle des Ryder Cup avec un succès phénoménal unanimement. La FFGolf et les sponsors se sont mobilisés pendant toutes ces années pour proposer un beau tournoi sur la durée et enlever maintenant cette date de fin juin qui était très bien pour en arriver à une date qui peut devenir “dangereuse”, notamment avec la météo. J’espère que ça changera vite mais c’est vrai qu’il y a une grosse incompréhension, c’est assez vexant pour la France !
As-tu envie de communiquer ton expérience aux plus jeunes ? Le coaching t’intéresse-t-il ?
Pour l’instant, je ne me suis même pas posé la question, je veux encore jouer !(rires) Je mets tout en place pour revenir au niveau, essayer même d’être meilleur qu’avant. Si tout va bien, je sais que, au plus haut niveau, j’ai encore une petite dizaine d’années devant moi. Quand le temps arrivera je me poserais peut-être cette question là, mais pour l’instant ce n’est pas d’actualités, non.
Ton avis sur la démocratisation du golf en France ?
Tous les moyens sont bons pour essayer de rendre le golf plus médiatisé, plus culturel, plus populaire, peu importe le nom qu’on lui prête mais c’est assez incompréhensible de voir la dimension que prend le golf dans le monde entier et le retard évident que l’on a en France. On sait que dans les îles britanniques mais aussi les pays nordiques, c’est culturel. Même si certains pays ont une population moindre que la France, ils ont un grand pourcentage de golfeurs. On n’a pas forcément des golfs à proximité en France, ou même des zones comme on peut en trouver en Écosse, Irlande ou Angleterre, des zones où n’importe qui peut venir putter, je trouve ça incroyable. Ce sont des espaces jouxtant des golfs privés ouverts à tous où les gens se baladent et peuvent faire des putts. C’est dans les gênes de ces pays anglo-saxons, et nous en France, il y en a encore beaucoup trop qui pensent que le golf reste un sport d’élite et pour les vieux, voilà où nous en sommes.
Et le golf à l’école ?
Je ne sais ce qui est en train de se mettre en place mais ce serait génial que l’on fasse découvrir ce sport, dès le plus jeune âge à un maximum d’écoliers parce que c’est un sport tellement passionnant, avec de belles valeurs comme l’humilité, la satisfaction mais aussi la persévérance, l’école de la vie quoi. Non franchement il faut jouer au golf, mettons un peu plus en avant notre beau sport auprès de la génération de demain ! 🙂